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me à l’autre. Ce qui fait qu’à la fin ils en sont quittes pour les Galéres, d’où ils sortent ensuite par mille sortes de voyes. De sorte que si quelque forte Partie ne presse les Juges, ils se sauvent toûjours de la corde. On ne sçait ce que c’est que de voler dans les rues, & ces meurtres ne se font jamais dans cette veüe-là. Je me suis souvent retiré seul de chez le Viceroy à onze heures, ou à minuit, sans qu’on m’ait insulté ; il est vray que j’ai cessé de m’y exposer, sur le conseil que les gens de qualité me donnérent, de marcher toujours accompagné, de peur que ces Assassins ne me prissent pour un autre. Quoiqu’il en soit, il n’y a rien à craindre pour les gens de quelque distinction, à moins qu’ils ne se trouvent envelopez dans quelque intrigue amoureuse ; Car alors on court risque d’estre poignardé dans les rues en plein midi. Il faut donc estre sage ou s’abandonner aux Courtisanes, pour éviter ce malheur. Or de ces deux moyens le premier est le meilleur, puisqu’il conserve également la Bourse & la santé. La Noblesse d’Arragon est assez riche ; mais elle le seroit davantage si les Païsans de ce Royaume, étoient aussi laborieux que les nôtres. Ces paresseux se contentent de faire labourer leurs Terres, semer, & receuillir leurs grains, par des Gavachos[1] dont l’Espagne est infectée. La populace conjecture que la France est le plus mauvais Païs du monde, puisque les François le quittent pour venir dans le leur. Il est

  1. Epitéte qu’ils donnent aux François, & qui dans le fond ne signifie rien du tout.