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ne dérident jamais leur front, & que la familiarité de la joye ne leur fait rien rabatre de leur gravité afectée : Mais dans le particulier ce sont les plus jolies gens du monde ; c’est à dire les plus enjoués & les plus vifs. Les Arragonois sont presque tous aussi maigres que moy. De là, Monsieur, vous pouvez juger de leur bonne mine. Ils disent que cela provient de ce qu’ils transpirent beaucoup, qu’ils mangent & dorment peu ; qu’ils ont les passions de l’ame vives & fortes ; & qu’enfin ils dissipent les esprits influens par des exercices que les François ne font pas si souvent qu’eux. Leurs visages sont aussi pâles que le mien. Peut-être ces mêmes exercices en sont ils la cause, au moins Ovide le croit ainsi, palleat omnis amor, color est hic aptus amandi. Leur taille passe la médiocre. Leurs Cheveux sont châtein obscur, & leur tein est aussi clair que celui des Bearnois. Tout ce que je viens de vous dire à leur égard, se peut entendre aussi de leurs Femmes, dont la maigreur ne va pourtant pas si loin. On ne peut pas convenir qu’elles soient belles, mais on ne sçauroit s’empêcher d’avoüer qu’elles sont aimables, si la nature leur a été chiche en gorge & en front, elle leur a prodigué des gros yeux étincelans, si pleins de feu qu’ils brûlent sans quartier, depuis les pieds jusqu’à la teste, les gens qui s’en s’aprochent. Elles sont trés-obligées à Theuno femme de Pithagore de leur avoir apris que les Personnes de leur Séxe ne sont nées que pour l’agréable métier d’aimer, & d’être aimées. Cette douce Morale s’accorde parfaitement bien avec leur Compléxion. Aussi la prati-