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détail des autres Charges de ce Royaume. Le pain, le vin, la Volaille, les Perdrix, & les Liévres y sont à trés bon marché. Mais la Viande de boucherie est extrêmement chére, & le bon poisson tout à fait rare. Les Etrangers, qui passent dans cette Ville, sont réduits à se loger en certaines Hôteleries que les Espagnols appellent Meson, où les Hôtes ne fournissent aux Passans que la Chambre & le lit, l’Ecurie, la paille, & l’orge[1]. Il est vray que les Valets ont soin d’acheter ce qu’on veut manger, & d’accommoder les Viandes de la maniére qu’on leur ordonne, pourvû que ce soit simplement à boüillir ou à rôtir. Les vins d’Arragon sont doux & forts, sur tout le vin rouge ; car le blanc a moins de force & de douçeur. Il n’y a d’autre Divertissement icy pendant l’Eté que la promenade. Les Cavaliers & les Dames sortent séparément de la Ville, vers le soir. Mais c’est moins pour prendre le frais que pour prendre le chaud. L’Hiver on a le plaisir de la Comédie, où l’on dit que les Prêtres & les Moines vont sans scrupule. Mr. le Duc de Jouvenazo tient tous les soirs assemblée chez luy ; on y raisonne, & on y boit des liqueurs ou du Chocolat. Les gens de la premiére qualité s’y trouvent presque toûjours. Ils sont honestes & affables au dernier point. Ils m’ont donné des marques sensibles d’amitié, & la plus grande est de m’avoir régalé dans leur Maison ; c’est ce qui me fait voir qu’ils ne sont pas si farouches qu’on me les avoit dépeints. J’avoüe qu’en public les soûris

  1. Il n’y a ni foin, ni avoine en Espagne.