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pour appeller l’aube de jour ; mais ce Village est si fort enclavé dans les Pirénées, qu’à peine y voit on le soleil au plus haut degré de son ascension, & la dixieme partie de la voûte des Cieux. Enfin, las de cette manœuvre & fatigué des travaux du corps & de l’esprit, j’allois donner à la nature une heure de sommeil, pour trois jours de veille, quand j’entendis un grand bruit d’hommes & de chevaux à la porte du Cabaret. Les coups qu’ils y donnoient, & les cris qu’ils jettoient, firent glacer tout mon sang dans les veines. Car je crus que tous les Archers du Royaume, étoient à mes trousses. Cependant, j’en fus quitte pour la peur ; car c’étoit des Muletiers qui alloient trafiquer en Espagne, Pendant ce temps là mon Guide & le jour étant arrivez ensemble, nous profitâmes de la compagnie de ces Voituriers. Ce jour-là nous passâmes jusqu’à Sallent premier Village d’Espagne, éloigné de sept lieues de Sarans, aprez avoir passé devant une maison qu’on apelle Aigues-Caudes[1], où l’on prend les bains qui guerissent une infinité de maladies. Dez-que j’arrivay à Sallent, on me conduisit dans un Cabaret sombre & ténébreux, plus propre à loger des Morts que des Vivans. J’étois si fort accablé de sommeil que je dormois debout. Mais comme les Lits me parurent des greniers à poux, je fis étendre de la paille sur le planché, où je me jettai, aprez avoir permis à mon Guide de faire aussi bonne chère qu’il voudroit, pourveu qu’il ne m’éveillât pas. En cet état je dormis de-

  1. C’est à dire eaux chaudes.