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s’avisa de me demander à voir la peinture qui étoit dedans ; laquelle représentoit une Dame de la Cour étendue sur un lit de repos toute nue, les cheveux épars. Celuy-ci ne l’eut pas plûtôt veue, que l’aïant fait voir aux autres, ils se dirent entr’eux en Bearnois, que c’étoit une Madelaine. A ce beau mot je pris courage, ne faisant pas semblant de l’entendre ; quand tout à coup le Curé me demanda ce que ce portrait-là signifioit. Je luy répondis que c’étoit une Sainte qui vengeroit l’insulte qu’on faisoit au meilleur de tous ses Dévots, & prenant la bale au bond, je regardai fixement cette nudité, & je forgeai sur le champ une prière à cette Sainte, suivi d’un éloge, où je luy atribuois plus de miracles qu’à tous les autres Saints de Paradis. Cette oraison jointe aux exclamations que je faisois aveugla tellement la Troupe, que chacun baisa, tête nue, la Dame dont il est question, avec un zéle merveilleux. Alors je cessai d’être Huguenot, d’autant plus que je continuai à invoquer cette Sainte qu’on connoît en Bearn avec la même ferveur & la même disposition à faire des miracles. Ce fût à qui pourroit obtenir ces priéres par écrit, pendant que chacun s’empressoit à l’envi de me guider dans les Montagnes, & de me fournir des Mules. Voilà, Monsieur, un détail assez plaisant des effets du Tabac en poudre. S’il sert à bien des gens pour trouver une réponse, pendant cet espace de temps qu’il luy faut pour aller depuis les doigts jusqu’au fond du nez ; il m’a servi d’une autre manière à me tirer d’afai-