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fois à minuit le Cimetière de Quebec, en me retirant seul à la basse Ville, & je n’ay jamais rien aperceu ; mais supposons que j’eusse veu quelque fantôme, (excusés la supposition) sçavez vous ce que j’aurois fait ? Le voicy. J’aurois passé mon chemin l’épée nue sous le bras, fort tranquillement. Si le Spectre eût esté à côté, & s’il se fût porté dans le milieu du chemin, je l’aurois prié fort honêtement de me laisser passer. Vous répondrez à cela, que les épées & les Pistolets sont fort inutiles en ce cas-là ; je l’avoüe : mais il seroit arrivé de deux choses l’une, qui est que si c’eût été un Spectre (ma supposition continuant) j’aurois aussi peu blessé de mon épée une Ombre, une vapeur, que cette ombre & cette vapeur aurait pû me blesser ; & si c’eust esté quelque Vivant sous une figure hideuse, mes armes auroient produit l’effet de châtier un insolent. Remarquez, s’il vous plaît, que dans tous les contes d’apparitions d’Esprits, de Fantômes, de Lutins &c. Vous n’avez jamais esté tué ni blessé, (au moins n’en avons nous jamais veu) si donc ces prétendus Ambassadeurs d’enfer, ont les bras si mous, pourquoi les craindrons nous davantage que les éclairs afreux qui précèdent les éclats du Tonerre ? Car enfin, une homme sage ne doit naturellement craindre autre chose que ce qui peut lui nuire directement ou indirectement. Cependant (me direz vous) il faut qu’il y ait quelque chose à cela, que je ne conçoi pas, puisqu’un homme de guerre reconnu pour brave & pour intrépide en cent occasions, a