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cle de foi. On se fait grand tort à soy-même d’ajoûter foy à ces sornétes d’apparitions. C’est être ingénieux à se faire peur, en le mettant dans l’esprit qu’un Diable se transforme en Dogue, un Sorcier en Chat, un Magicien en Loup, & qu’une Ame du Purgatoire préne toutes sortes de figures pour mandier des priéres à des Vivans, qui sont assez embarrassez à prier Dieu qu’il les exauce eux-mêmes. Dez-qu’on croit ces visions, on ne sçauroit coucher seul dans une Maison, le bruit d’un Rat sufiroit pour faire glacer tout le sang dans les veines d’un homme comme vous. Car une imagination épouvantée tremble à la veue de ses propres chiméres. Outre le mal qu’on se fait à soy-même, on en cause beaucoup aux autres, par le récit qu’on fait de mille avantures impertinentes & ridicules. Les esprits foibles les avalent comme de l’ipocras, on intimide tellement les femmes qu’elles sont obligées de faire coucher avec elles, en l’absence de leurs Maris, des gens assez résolus pour faire tête aux Sorciers, aux Magiciens, aux Spectres &c. Les jeunes filles ne sçauroient aller verser de l’eau, si quelque Laquais bien armé ne les accompagne le flambeau à la main. Enfin, il arrive de ceci mille choses fâcheuses, dont les Voleurs, les Scelerats, & les Paillards profitent avantageusement. Pour moy je jureray de bonne foy que je n’ay jamais de ma vie rien vû, ni entendu de surnaturel, pendant la nuit, en quelque Païs que je me sois trouvé. J’ay fait tout ce que j’ay pû pour voir ou entendre quelque nouvelle de l’autre monde. J’ay traversé plus de cent