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dont j’aurois bien peu me passer ; car j’ay la teste si pleine des contes de vigne, de jardinage, de chasse, & de pêche, dont on me parle depuis quatre jours, qu’à peine ay-je l’esprit assez libre, pour vous dépêcher cet Exprez, & pour vous faire un détail des affaires qui m’obligent à vous demander une Entreveüe ; mais ce qui me trouble d’avantage, est l’impertinente folie de nos plus sages Compatriotes. Car ces bonnes gens tant Prestres, Gentishommes, que Païsans ne font que me parler de Sorciers, depuis le matin jusqu’au soir, & même ils vous citent en particulier comme l’homme du monde à qui les Sorciers ont fait le plus de niches. Enfin, pour peu qu’ils continuent à me débiter leurs chiméres, je croi que je deviendrai Magicien. Ces Visionaires m’assurent d’un grand sérieux que tel & telle sont Sorciers, quelques-uns jurent de bonne foy qu’ils le sont eux-mêmes, d’autres me disent en consçience, qu’ils l’ont été, & qu’ensuite ils ont quitté le sabath. Je demande aux uns & aux autres les charmes de ce sabath ; ils me répondent que c’est un Palais où l’on trouve les meilleurs Vins, les plus beaux repas, les plus belles Femmes, & la plus agréable simphonie qui soit sous le Ciel ; qu’on y boit, qu’on y mange, qu’on y danse, & qu’on y fait avec les Dames ce qu’on peut bien faire ailleurs sans être sorcier. Enfin, je ne croy pas qu’il soit permis aux Bêtes d’être si Bêtes que ces Foux-là. Ceci surpasse l’imagination, car enfin, on s’appelle icy sorcier, comme ailleurs on s’appelleroit Camarade.