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gues de l’Europe. C’est un aveu qui est sorti de la bouche des plus fines gens de Bourdeaux, qui luy rendirent plusieurs visites dont je fus le témoin, car nous logeâmes ensemble dans cette ville-là. Le meilleur de l’affaire, c’est que le lendemain de nostre arrivée deux Marchans de son Païs luy contérent de beaux Loüis d’or, d’une partie desquels il se défit en faveur des Soldats du Château Trompéte, qui n’auroient jamais creu qu’un homme d’Eglise pût être si libéral envers des gens de guerre. Tous les Théologiens, Mathématiciens, & Philosophes qui le visitérent étoient si charmez de son sçavoir, qu’ils avouoient que l’homme du monde le plus subtil & le plus pénétrant ne pourroit jamais aquérir aprez une étude de 60. ans, les connoissances de celuy-ci. Nous demeurâmes quinze jours à Bourdeaux, sans qu’il eût la curiosité de voir autre chose qu’une petite Eglise du Voisinage, & le Château Trompéte. Il lisoit & écrivoit incessamment : mais pour de Breviére, nescio vos. Je croy même qu’il n’en portoit pas. Car il n’estoit ni Diacre, ni Prestre. Pour ce qui est de son Ordre, il ne m’a pas esté possible de le sçavoir, car quand je le luy ay demandé, il m’a répondu, Je suis Moine blanc, & rien plus. Nous prîmes tous deux place dans le Carrosse de Bayone (car il s’en va en Espagne) & lorsque nous arrivâmes à l’Esperon, nous nous séparâmes, & je pris la route de Dax, & luy celle de Bayone. Je ne fus pas plutôt arrivé dans la maison Champêtre où je suis, que je reçus une infinité de visites,