Page:Lahontan - Dialogues avec un Sauvage.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recommandations des premières Personnes de la Cour n’ont pu toucher le cœur de Monsr. de Pontchartrain, tant il est prévenu contre moy. Il est question de vous dire qu’étant parti de Paris avec bien du mécontentement, j’allai m’en consoler, quelques mois, dans une certaine Province du Royaume qu’il vous sera très facile de deviner. De là je fis un saut droit à la Rochelle, où je m’embarquai sur un Bateau qui porte ordinairement des Passagers à la Tremblade. Je me trouvai dans cette Voiture dans la Compagnie d’un Moine blanc, dont l’histoire est trop singuliére pour n’en pas dire quelque chose. Il s’apelloit Don Carlos Baltazar de Mendoza ; il est fils d’un bon riche Gentilhomme de Bruxelles ; il est âgé d’environ trente trois ou trente quatre ans, & pour le moins aussi haut & aussi maigre que moy. Il servit trois ou quatre ans le Roy d’Espagne en qualité de Capitaine de Cavalerie, & comme il s’attachoit plus à l’étude des Sçiences qu’à celle de plaire au Gouverneur général des Païs-Bas, sa Majesté Catholique luy refusa un Régiment que son Pére ofroit de lever à ses dépens. Ce refus l’obligea de quitter le service ; ensuite ses parens le voulant marier, il alla se faire Moine en Allemagne, & quelque temps aprez il jetta le froc aux orties. Les gens qui m’ont conté son histoire, m’ont assuré qu’il avoit repris & laissé plusieurs fois son froc. Quoiqu’il en soit, on peut dire que ce Moine est un des habiles hommes de son siécle. Il posséde aussi parfaitement les meilleures Sciences, que les principales Lan-