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Persones de la Cour. D’ailleurs, elle avoit un vieux Domestique François & Catholique, qui n’entendoit presque point l’Aleman. Elle étoit grande, bien faite, avec assez d’embonpoint, & même si belle qu’elle fit en vain tout ce qu’elle put pour me persuader qu’elle avoit cinquante cinq ans. Elle ne pouvoit souffrir qu’on luy dît que la fraîcheur de son tein sembloit luy donner un démenti. Elle prenoit cet aveu pour une injure, prétendant que les charmes d’une femme de cinquante ans sont trop ridés pour causer de l’admiration. Chose singuliére & bien extraordinaire ! Car les personnes de son séxe ne sont guère acoûtumées à tenir ce langage, puisqu’elles aimeroient mieux qu’on attaquât leur vertu que leur beauté. Quoiqu’il en soit, elle me parut fort prévenue contre les gens de notre Nation, qu’elle traitoit d’indiscrets & d’évaporéz, se récriant toujours sur la mauvaise opinion qu’ils ont des Allemans. Comment, disoit-elle, est-ce que les François ont l’audace de leur disputer le bon esprit, en les prenant pour des gens grossiers & materiels, au lieu de les prendre pour des gens de bons sens & de réflexion, qui pénétrent le fond des choses avec beaucoup de jugement ? Quoy donc, continuoit elle, faut-il être François pour avoir de l’esprit, faut il avoir cette vivacité & ce faux brillant qui ébloüit avec un vain éclat ? Faut-il avoir le feu d’une imagination prompte & subtile pour débiter des sornetes avec des paroles dorées ? Non non, cette délicatesse d’expressions est de la créme