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assez bon François pour s’énoncer avec beaucoup de délicatesse. Imaginez-vous, Monsieur, que les routes de l’Arabie deserte ne sont peut-être pas si mauvaises que celles de la Westphalie, au moins il est seur qu’il n’y a pas tant de boue, mais c’est des gîtes dont je prétens vous parler, car il faut que vous scachiez que ces Cabarets sont des Archihôpitaux, dont les Hôtes mourroient de faim, si les Etrangers n’avoient pas la charité de leur donner des vivres, dont ils sont obligez de se pourvoir chez de riches Maitayers, qui se trouvent de distance à autre. On doit se contenter de coucher sur la paille dans ces pitoyables Retraites, où les voyageurs ont la seule consolation de comander & de faire marcher l’hôte, l’hôtesse, & les enfans, comme bon leur semble. On est trop heureux d’y trouver une poile, & un chauderon pour faire la cuisine. Il est vray que le bois n’y manque pas ; & comme les cheminées sont isolées, & construites en quarré, vint personnes s’y peuvent chauffer à leur aise. Cependant, j’admirois la patience de cette Dame, qui, bien loin de se plaindre des incomodités du voyage, se faisoit un plaisir de voir pester le Marchand Anglois, sa femme de Chambre, & moy. Je conjecturai par son air & par ses manieres qu’elle étoit femme de qualité, en quoi je ne me trompai pas, car j’apris aprés que nous-nous fûmes séparez qu’elle étoit Comtesse de l’Empire ; Elle conoissoit si bien le génie des François que je ne doutai pas qu’elle n’eût esté à Paris ; ce qui m’en persuada le plus, c’est qu’elle me parla comme fort sçavante des premiéres