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mes dans le besoin, sans dépeupler ses Etats. Ses Officiers ont des apointements raisonnables ; sur tout ceux de Marine, qui n’ont pas, comme les nôtres, plus de paye qu’il leur en faut, à proportion de nos miserables Capitaines d’infanterie & de Cavalerie, lesquels sont obligez de faire assez maigre chére, pour suvenir aux dépenses dont les Capitaines de Vaisseaux sont exempts. On dit qu’il est avantageux à ce Prince de prêter ses troupes à ses Alliés, non par raport aux fortunes qu’il en peut retirer, mais seulement pour les tenir en haleine, les aguerrir & les perfectioner dans l’Art Militaire, afin d’en tirer de l’utilité dans l’occasion. Vous remarquerez, Monsieur, que le Roy de Danemarc est au dessus de ce scrupule ridicule qu’ont la plûpart des autres Princes, de n’employer à leur service les Etrangers qui ne sont pas de leur Religion. Messieurs de Cormaillon, Dumeni, Labat, & plusieurs autres ont des emplois considérables dans ses Troupes, quoiqu’ils soient François & Catholiques. Cela fait voir que ce Monarque est persuadé que les gens d’honeur manqueroient plûtôt à la Religion qu’à la fidélité qu’ils doivent à leur Maître. Entre nous, je croy qu’il a raison ; Car enfin le premier point de toute Religion consistant dans la fidélité qu’on doit à Dieu, à l’Ami, & au Bienfaiteur, rien ne peut ébranler un honête Homme, ni le porter à agir contre son devoir. Je ne veux pas juger des autres par moy-même, mais pour moy, je vous assûre que si j’avois embrassé le service des Turcs, avec ma liberté d’être Catholi-