Page:Lahontan - Dialogues avec un Sauvage.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne mangent que du beurre & du fromage étendu sur du Pompernik[1] ? si c’est pour payer le tribut à leur République, il faut aimer avec bien de l’aveuglement une ombre de liberté qu’on achète aux dépens de la substance qui maintient sa vie & la santé. Le meilleur coup que les Danois ayent jamais fait, c’est lorsqu’ils ont mis leurs Rois sur le pied qu’ils sont aujourd’huy. Celuy qui régne à présent exerce le pouvoir arbitraire avec autant d’équité que son Prédécesseur. Avant ce temps-là ce n’estoit que Factions, Cabales, Guerres Civiles dans le Royaume. On ne voyoit que des désordres dans l’Etat & dans la Société. Les Grands oprimoient les Petits ; & les Rois eux-mêmes estoient, pour ainsi dire, assùjetis aux Loix de leurs Sujets. En un mot, ce phantôme de liberté, dont ces Peuples se laissoient ébloüir, comme plusieurs autres, par de fausses lueurs, ne servoit qu’à les rendre esclaves d’une infinité de Roitelets, qui agissoient en Souverains, sans craindre le pouvoir borné des Rois. Les revenus du Roy de Danemarc se montent, à présent, à 5 millions d’écus. C’est un fait incontestable que je sçay de trés bonne part. Il entretient prez de trente mille Hommes de bonnes Troupes réglées, bien disciplinées, & réguliérement payées, sans compter les Milices qui sont toûjours prêtes à marcher. Outre qu’il peut encore lever quarante mille Hom-

  1. Pompernik, est une espéce de pain noir comme la cheminée, pesant comme du plomb & dur comme des cornes.