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re des réflexions sur l’étrange situation où je me trouvois ; il failloit, suivant le proverbe, boire le vin, puisqu’il étoit déja tiré ; c’est à dire, faire comme les autres. Cependant on apporta sur la fin du repas un grand Welcom d’or contenant deux bouteilles, que tous les Cavaliers furent obligez d’avaler plein à la santé de la Famille Royale. Dieu sçait si jamais le triste Nautonnier trembla de meilleure grâce à l’aspect du naufrage, que je fis à l’abord de ce Vase monstrueux. Je veux bien vous dire que je le beus, mais je n’acheverai pas, s’il vous plaît le reste de l’histoire, car je ne prétens pas faire trophée de l’action héroïque que je fis, à l’imitation de trois ou quatre autres, qui déchargérent leur consçience d’aussi bonne grâce que moy, au pied de la Table. Aprez ce coup fatal j’étois si mortifié que je n’ozois paraître, & même très disposé à quitter incessamment le Païs, si mes Compagnons de bouteille & de disgrace ne m’en avoient dissuadé par une infinité de proverbes Allemans qui sembloient loüer ce généreux exploit, sur tout celuy-ci. S’il est honteux de trop prendre, il est glorieux de rendre. Au reste les Gentishommes Danois vivent assez comodément du revenu de leurs Terres, & même leurs Paisans ne manquent de rien, comme les nôtres, si ce n’est d’argent. Ils ont des grains & des Bestiaux, pour vivre grassement, & pour payer le fief à leurs seigneurs. N’est-ce pas assez d’être bien vêtu, & bien nourri ? Je voudrais bien sçavoir à quoy servent les écus des Paisans de Hollande, pendant qu’ils