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commoder. Il semble que ce soit une coutume inviolablement établie dans les Païs du Nord d’avaler une ou deux Coupes de biére, avant que de passer au vin, dont on fait trop d’estime pour le gâter avec l’eau. On dit que ces repas duroient autrefois quatre ou cinq heures, & qu’on beuvoit assez cavaliérement pendant ce temps-là, malgré les risques de la goutte. Mais cet usage est maintenant aboli ; d’ailleurs, les verres sont si petits, & la modération est si grande, qu’on sort de table avec toute sorte de tranquillité. Ce n’est pas qu’en certaines Fêtes extraordinaires on fait encore des festins, où les Conviez sont indispensablement obligez de boire quelques razades éfroyables dans certains Welcoms, autrefois en usage parmi les Grecs, sous le nom de Ἀγαθοῦ Δαίμονος. Le souvenir de ces Vases me fait trembler, depuis l’accident impréveu qui m’arriva malheureusement, il y a deux mois chez Mr. de Gueldenlew. Ce Viceroy régaloit dix-huit ou vint Personnes de l’un & de l’autre Séxe, à l’honeur de la naissance d’un de ses Enfans. Le hazard voulut que j’eusse l’honneur de me trouver au nombre des Conviez, qui furent tous obligez, à la réserve de Mr. de Bonrepaus, de boire pendant le repas deux douzaines de razades, à la santé des présens & des absens. Je vous avoüe que j’estois fort embarrassé de ma contenance, & que j’aurois presque autant aimé boire le fleuve de St. Laurent que ces Fontaines de vin ; Car il n’y avoit aucune apparence de tricher, ni de s’en défendre. Il ne s’agissoit plus de fai-