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si les Maisons des Veuves & des Orphelins, & même celles des Scélérats & des Pécheresses qui travaillent sans cesse, pour l’expiation de leurs pécadilles. La Bourse est une Piéce d’Architecture assez grande pour contenir 8000 Hommes. Mais, ce que j’ay vû de plus superbe, ce sont dix ou douze Maisons de Musicos, ainsi nommées à cause de certains Instrumens de musique pitoyablement animés, au son desquels un tas de Coureuses font donner dans le piége, les gens qui ont le courage de les regarder sans leur cracher au visage. Elles s’attroupent dans ces Serrails, dez-qu’il est nuit. Dans les uns on joüe des Orgues, & dans les autres du Clavessin, ou de quelques autres Instrumens estropiez. On voit dans une grande Chambre de plein pié, ces hideuses Vestales habillées de toutes piéces, & de toutes couleurs, par le secours des Juifs, qui leur louent des coëfures & des habits, qu’ils ont conservé pour cet usage de pére en fils, depuis la destruction de Jerusalem. Tout le monde y est fort bien reçû, moyennant dix ou douze sous qu’il faut payer, en entrant, pour un verre de vin, capable d’empoisonner un Eléphant. On voit entrer un gros Matelot sa pipe à la bouche, ses cheveux gluans de sueur, & sa culote de gouldron colée sur les cuisses ; faisant des S jusqu’à ce qu’il tombe au pieds de sa Maîtresse. Ensuite il entre un Laquais demi saoul, qui vient chanter, danser & boire de l’eau de vie pour se desenyurer. Celui-ci est suivi d’un soldat qui tempête & fulmine à faire trembler ce Palais ; ou d’une Troupe d’Avanturiers, qui portent le man-