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lébre, au moins trois ou quatre fois la semaine, tantôt dans une Eglise & tantôt dans l’autre. Ces Avanturiers ont un talent merveilleux pour faire d’un clein d’ail des déclarations d’amour à ces Donzelles, dont ils recoivent la réponse par le même signal ; ce qui s’appelle Corresponder. Il ne s’agit ensuite que de découvrir leur Maison en les suivant pas à pas, jusque chez elles, au sortir de l’Eglise ; le fin du tour consiste à pousser jusqu’au Coin de la rue sans s’arrêter, ni sans tourner la tête ; dez-que les bonnes Dames sont entrées ches elles, de peur que les Maris ou les Rivaux n’ayent le contrechifre de l’intrigue. C’est au bout de cette rue que la vertu de patience est tellement nécessaire aux Avanturiers, qu’ils sont obligez d’attendre deux ou trois heures une servante, qu’il faut suivre jusqu’à ce qu’elle trouve l’ocasion de faire son Recado[1] en toute seureté. Il faut se fier à ces bonnes Confidentes, & même risquer sa vie sur leur parole & sur leur adresse ; car elles sont aussi rusées que fidéles à leurs Maîtresses, dont elles reçoivent des présens, aussi bien que des Amans, & quelquefois des Maris. Les Portugaises cachoient autrefois leurs visage avec le Manto[2] & ne montroient qu’un œil, comme les Espagnoles font aujourd’hui : mais depuis qu’on s’est appercû que les Villes maritimes étoient

  1. Le message, ou le mot du guet pour le rendez-vous.
  2. Manto, voile de tafetas noir qui cachant absolument la taille & le visage, cachoit en même temps bien des intrigues.