Page:Lahontan - Dialogues avec un Sauvage.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur délicatesse va jusqu’au point de ne jamais rendre visite aux personnes qui logent dans les Auberges. Il faut estre d’une illustre naissance pour avoir le Don[1]. Car les Charges les plus honnorables ne sçauroient donner ce vénérable Tître, puis que le Sécrétaire d’Etat, qui en posséde une des plus éclatantes du Royaume, ne le prend pas. Le Roy de Portugal est grand, bien fait, & de bonne mine ; quoique son teint soit un peu brun. On dit qu’il est aussi constant en ses résolutions, qu’en ses amitiez. Il connoit trés-bien l’estat de son Royaume. Il est si libéral, & si bien-faisant qu’il a de la peine à refuser les graces que ses Sujets luy demandent. Le Duc de Cadaval, qui est son premier Ministre, & son Favori, a de puissans Ennemis, parce qu’il parôit plus zélé qu’eux au service de ce Prince, & qu’il est un peu François. Lisbone seroit une des plus belles Villes de l’Europe par sa situation, & par ses divers aspects, si elle estoit moins sale. Elle est située sur sept Montagnes, d’où l’on découvre les plus beaux passages qui soient au monde, aussi bien que la Mer, le fleuve du Tage, & les Forts qui gardent l’entrée de cette Riviére. Cette ville montueuse incommode extrémement les gens qui sont obligés d’aller à pied ; surtout les Voyageurs, dont la curiosité paroît un peu traversée par la peine de monter & décendre incessamment. Car on n’y trouve pas, comme ailleurs, des carosses de louage. On y voit de trés-belles & trés-

  1. Don, ce mot se raporte parfaitement à celui de Messire. Et en Espagne à celui de Sire ou Sieur. Dont les Savetiers &c. se qualifient.