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lieux par le moyen de deux grosses vrilles de fer. Au reste, ce que je vous dis icy de ces Cabarets, n’est qu’une bagatelle, en comparaison de ceux d’Espagne, s’il en faut croire des gens dignes de foy ; C’est ce qui fait, à mon avis, qu’il n’en coûte presque rien pour la bonne chére, dans les uns & dans les autres.

Le jour d’aprez mon arrivée à Lisbone, je saluay Mr. l’Abbé d’Estrées, que le Roy de Portugal estime infiniment, Il est si fort honoré de tout le monde, qu’on le qualifie avec raison de O mais perfecto dos perfectos Cavalheiros, c’est à dire du plus parfait des parfaits Cavaliers. Son équipage est assez magnifique, quoiqu’il n’ait pas encore fait son Entrée publique. Sa Maison est trés-bien réglée, son Hôtel richement meublé, & sa Table délicate & bien servie. Il donne souvent à manger aux gens de quelque distinction, qui ne le verroient jamais s’il ne leur donnoit la main. Cette déférence me paroîtroit ridicule, si le Roy son Maître ne l’avoit ainsi réglé du temps de Mr. d’Opede[1]. Car, aprés tout il est choquant que le dernier Enseigne de l’Armée préne la main chez un Ambassadeur, qui la refuse à tout Ministre du second rang. Les Gentis-hommes Portugais sont fort honêtes gens, mais ils sont si remplis d’eux mêmes, qu’à peine s’imaginent-ils qu’on puisse trouver au monde de Noblesse plus pure & plus ancienne que la leur. Les Titulaires se font traiter d’Excellence, &

  1. Opede, autrefois Ambassadeur de France en cette Cour.