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de trouver à redire à ce jargon ; car nous sommes vous & moy d’un Païs, où l’on ne sçait parler François que lorsqu’on n’a plus la force de le prononcer. D’ailleurs, il n’est pas possible qu’ayant passé si jeune dans l’Amérique, j’aye pû trouver en ce païs-là le secret d’écrire poliment. C’est une science qu’on ne sçauroit aprendre parmi des Sauvages, dont la société rustique est capable d’abrutir les gens du monde les plus polis. Vous me pressez de continuer à vous aprendre de nouvelles choses ; j’y consens : mais ne comptez pas, aux moins, que je vous envoye ces belles descriptions que vous demandez. Car ce seroit m’exposer à la risée des Personnes auxquelles vous pourriez les communiquer. Je ne me sens pas assez habile Homme pour enchérir sur les Remarques curieuses qu’une infinité de Voyageurs ont bien voulu donner au Public. C’est assez que je vous fournisse des Mémoires particuliers sur certaines choses, dont on a fait si peu de cas, qu’on n’a pas creu devoir se donner la peine d’y faire attention. Et comme ce sont des matières qui n’ont jamais été sous la Presse, vous y trouverez, peut-être, quelque sorte de plaisir, par raport à la nouveauté. Sur ce pied-là je serai ponctuel à vous écrire, de quelque coin du monde où mon infortune me jette ; à condition que vous le serez aussi à me répondre exactement. Au reste, je me croy obligé de vous avertir que je ne sçaurois me résoudre à francizer les noms étrangers. Je les écriray comme les gens du Païs les écrivent, c’est à dire de la manière qu’ils le