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rien (comme l’expérience te l’a, sans doute, fait voir), au lieu qu’en laissant reposer ce champ, la terre reprend ses forces, l’air, le serain, les pluyes, & le soleil luy redonnent un nouveau suc, qui fait germer le grain qu’on y seme. Or, écoute un peu, mon Cher, ce que je te veux dire. Pourquoy est-ce que les femmes sauvages étant si peu fécondes, ont si peu l’acroissement de leur Nation en veüe, qu’une fille se fait avorter, lorsque le Pére de son Enfant vient à mourir ou à estre tué, avant que sa grossesse soit reconnue. Tu me répondras que c’est pour conserver sa réputation, parce qu’en suite elle ne trouveroit plus de Mari : Mais, il me semble que l’intérêt de la Nation, laquelle devroit se multiplier, n’est guére en recommandation dans l’esprit de vos femmes. Il n’en est pas ainsi des nôtres ; car, comme tu me le disois l’autre jour, nos Coureurs de bois, & bien d’autres, trouvent assez souvent de nouveaux enfans dans leurs Maisons, au retour de leurs Voyages. Cependant ils s’en consolent, car ce sont des corps pour la Nation & des ames pour le ciel. Aprés cela ces femmes sont autant deshonorées que les vôtres, & quelquefois on les met en prison pour toute leur vie ; au lieu que les vôtres peuvent avoir ensuite tant de galans qu’elles veulent. C’est une trés-abominable cruauté de détruire son enfant. C’est ce que le Maître de la vie ne sçauroit jamais leur pardonner. Ce seroit un des principaux abus à réformer parmi