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quez. Sur ce pied-là tu conviendras qu’il vaydroit mieux estre Huron, puisque la santé est le plus précieux de tous les biens. Je sçay pourtant que ces maladies n’épargnent personne, & qu’elles se jettent aussi bien sur les Ignorans, que sur les autres. Ce n’est pas que je nie ce que tu dis ; car je voy bien que les travaux de l’esprit affoiblissent extrémement le Corps, & même je m’étonne, cent fois le jour, que vostre complexion soit assez forte, pour résister aux violentes secousses que le Chagrin vous donne, lorsque vos affaires ne vont pas bien. J’ay veu des François qui s’arrachoient les cheveux, d’autres qui pleuroient & crioient comme des femmes qu’on brûleroit ; d’autres qui ont passé deux jours sans boire ni manger, dans une si grande colére qu’ils rompoient tout ce qu’ils trouvoient sous la main. Cependant la santé de ces gens-là n’en paroissoit pas altérée. Il faut qu’ils soient d’une autre nature que nous ; car il n’y a pas de Huron qui ne crevât le lendemain, s’il avoit la centiéme partie de ces transports ; oüy vraîment il faut que vous soyez d’une autre nature que nous ; car vos vins, vos eaux de vie, & vos épiceries nous rendent malades à mourir : au lieu que sans ces drogues vous ne sçauriez presque pas vivre en santé. D’ailleurs, vôtre sang est salé, & le nostre ne l’est pas. Vous étes barbus, & nous ne le sommes pas. Voicy ce que j’ay encore observé, C’est que jusqu’à l’âge de trente cinq ou quarante ans, vous étes plus forts & plus robustes que nous. Car