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à travers la suède

de comprendre pourquoi les rats noirs ne se réunirent pas afin d’exterminer dans une grande guerre les rats gris avant qu’ils ne fussent trop nombreux. Probablement les noirs se sentaient-ils si sûrs de leur domination qu’ils ne pouvaient croire à la possibilité d’en être dépouillés. Ils restaient tranquilles dans leurs domaines, et pendant ce temps les rats gris leur enlevaient ferme après ferme, hameau après hameau, ville après ville. Ils durent céder pas à pas, contraints par la faim, chassés, anéantis. En Scanie ils n’avaient pu garder qu’une seule place, Glimmingehus.

Le vieux château possédait des murs si sûrs, et un si petit nombre de passages les traversait que les rats noirs avaient réussi à en défendre l’accès. D’année en année, de nuit en nuit, la lutte avait duré entre défenseurs et assiégeants ; les rats noirs faisaient bonne garde et se battaient avec le plus grand mépris de la mort ; grâce au vieux château ils avaient été victorieux.

Il faut l’avouer, au temps de leur puissance, les rats noirs avaient été aussi détestés de toutes les autres créatures vivantes que les rats gris l’étaient maintenant, et avec raison. Ils s’étaient attaqué à de pauvres prisonniers enchaînés dans les cachots, ils avaient gloutonnement dévoré des cadavres, ils avaient volé le dernier navet dans la cave du pauvre, mordu les pieds des oies endormies, saccagé les nids des poules en ravissant les œufs et les poussins, bref ils avaient commis mille méfaits. Mais depuis qu’ils étaient tombés dans l’infortune, tout semblait oublié, et l’on ne pouvait pas ne pas admirer les derniers de la race qui avaient tenu bon, si longtemps, contre leurs ennemis.