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à travers la suède

étaient encore petits et ne pouvaient être utiles à rien, et la brave femme avait dû se charger de la ferme, de toute la besogne, et de tous les soucis. Elle avait été forte comme un homme, et avait labouré et moissonné. Le soir, en venant traire les vaches, elle était parfois si fatiguée qu’elle pleurait. Mais il lui suffisait de penser à ses enfants pour reprendre courage. D’un mouvement brusque et insouciant elle essuyait ses larmes, secouait le sommeil et murmurait : « Tant pis. J’aurai du bon temps, moi aussi, quand les enfants seront grands. Ah ! quand ils seront grands… ! »

Mais quand les enfants eurent grandi, voilà qu’une étrange nostalgie s’empara d’eux : ils ne voulaient pas rester à la maison, ils voulaient aller à l’étranger. Leur mère ne reçut jamais d’eux aucun secours. Quelques-uns des enfants s’étaient mariés avant de partir ; ils laissaient leurs bébés à la maison. C’étaient maintenant ces enfants-là qui suivaient notre maîtresse dans l’étable comme jadis ses propres enfants. Ils menaient paître les vaches et devinrent eux aussi des gens braves et capables. Et le soir, en s’endormant presque de fatigue pendant qu’elle trayait les vaches, notre maîtresse reprenait des forces en pensant à eux : « J’aurai du bon temps, moi aussi, disait-elle en se secouant, lorsqu’ils seront grands. »

Mais voilà que ces enfants, une fois grands, rejoignirent leurs parents dans le pays étranger. Personne ne revint, personne ne resta. La vieille maîtresse demeura seule à la ferme.

Elle n’avait jamais prié aucun d’entre eux de rester à la maison.

« Penses-tu, la Rousse, que je leur demanderais