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tages que chacun de nous en retire sont de tous les instants ; nous ne faisons rien sans consulter un livre. Dans nos procès, dans nos maladies, en voyage, à la campagne, nous allons toujours chercher ces maîtres modestes qui ont réponse à tout, ces amuseurs toujours prêts ; ils nous évitent ennui, fatigue, dépenses ; jamais services plus grands ne furent rendus à moins de frais ; pourquoi donc la reconnaissance nous semble-t-elle si lourde ? Que risquons-nous cependant ? Comme le dit ingénieusement Carlyle, nous jouons contre l’auteur avec des dés pipés. Si le livre est bon, nous le payons d’une obole, si le livre est mauvais, l’auteur peut mourir de faim sans que la société s’en inquiète. Il est incroyable qu’on trouve des gens assez résolus pour accepter des conditions aussi inégales, mais il est plus incroyable encore qu’on trouve naturel de condamner à la misère les enfants de ceux qui se dévouent pour nous enrichir, nous instruire ou nous amuser.

Reconnaître la propriété littéraire pleine et entière, c’est justice ; c’est à la fois récompenser le travail et rendre à l’écrivain la place qui lui appartient dans l’État. C’est en faire un citoyen au lieu d’un paria ; c’est encourager quiconque sait tenir une plume à servir son pays de toutes les forces de son intelligence, s’en remettant au pays du soin de le récompenser.

Cette récompense, c’est le denier que paye chaque lecteur, récompense vraiment honorable, souscription perpétuelle où chaque admirateur apporte volontairement son offrande. Pour se dispenser de reconnaître la propriété littéraire, des gens qui chargent l’État de leur reconnaissance nous parlent des générosités de Louis XIV, et demandent des récompenses nationales pour les hommes de génie ou leurs héritiers. Tout cela, c’est une aumône donnée