Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la justice au nom de l’utilité. Supposez que demain on abolisse l’héritage, qui doute que la suppression de la rente n’amène une réduction dans le prix du grain ? Ce serait une mesure de même nature, et il semble que payer le pain bon marché est d’un bien autre intérêt public que d’avoir les livres à bas prix. Ce serait une confiscation, dira-t-on, je l’avoue, mais je ne trouve pas la confiscation de la propriété littéraire chose plus équitable ; la seule différence que je vois, c’est qu’en ce point l’habitude nous ferme les yeux.

Allons plus loin. On suppose que le monopole, comme on l’appelle, élève le prix des livres, et qu’il y a là une charge onéreuse pour le public. On connaît mal les affaires, quand on raisonne ainsi.

La propriété d’un livre est un monopole, cela est vrai, mais c’est le monopole d’un objet qui n’est pas nécessaire, et qu’on peut aisément remplacer. Le monopole du grain, du vin, du sucre, nous met aux pieds de celui qui tient, en quelque façon, notre vie dans ses mains ; mais si demain un libraire élevait le prix de ses éditions au delà de certaines limites, personne n’achèterait, il serait promptement ruiné. Pour les choses de luxe, dont la consommation n’est pas forcée, c’est la demande et non l’offre qui fixe le prix. En librairie, comme en d’autres industries, il est un prix courant qu’on ne peut pas dépasser. Les auteurs, de leur vivant, ont un monopole ; voit-on cependant que les livres se vendent si chèrement ? Éditeurs et libraires courent au-devant du lecteur et tâchent de l’attirer par l’appât du bon marché. La gloire de l’écrivain, la nouveauté du sujet n’élèvent point le prix du livre ; on vend plus d’exemplaires, quand on est célèbre, mais on ne le vend pas plus cher. Il n’y a donc rien à craindre de ce prétendu monopole.