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senté une seule fois dans le passé… on ne fait pas la législation d’une hypothèse. L’hypothèse d’un ouvrage nécessaire au monde, utile, moral, publié pendant des années et artificiellement éteint pour le monde, a paru à votre Commission si chimérique, qu’elle n’a pas cru devoir le mentionner dans la loi. Vous examinerez[1]. »

En Angleterre, et depuis deux siècles, la loi prévoit cette hypothèse chimérique, et donne un moyen d’éviter cette confiscation impossible ; le cas ne s’est jamais présenté. L’intérêt ou la piété filiale ont toujours suffi pour qu’on réimprimât les ouvrages qui manquent dans la circulation. Se métier ici de l’intérêt personnel est à peu près aussi raisonnable que de se métier de ce que pourraient faire les héritiers d’un champ ; dépouiller les enfants d’un écrivain, de crainte qu’ils n’anéantissent la richesse que leur a léguée leur père, est à peu près aussi logique que si l’on supprimait l’héritage, de crainte que les enfants ne laissassent la terre en friche. L’expérience est là pour prouver que le meilleur moyen d’entretenir les propriétés, c’est de leur donner des propriétaires. Qu’il y ait un héritier de Montesquieu, on peut être sûr que, pour soutenir la noblesse de son nom et pour accroître sa fortune, cet héritier s’ingéniera pour stimuler le goût du public et lui faire lire et relire l’Esprit des lois.

Je n’insiste pas sur ce point. Bien n’empêche d’insérer dans la loi la disposition anglaise, qui met l’expropriation littéraire à la portée de tous les amateurs. Si, avec deux lignes inutiles, on peut éviter une discussion chimérique, il est sage de les adopter.

Reste le prix des livres. C’est une objection qui n’est pas sérieuse, si l’on reconnaît le droit ; on ne peut pas renverser

  1. Rapport, p. 18. Séance du 13 mars 1841.