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détruit, et que tous les exemplaires soient vendus : le droit de l’auteur ne sera point affaibli, mais où sera cet objet certain qui constitue la propriété[1] ? Un droit peut exister sans être incorporé dans une chose, mais qu’est-ce qu’une propriété sans support matériel ?

C’est l’objection la plus spécieuse et la plus subtile, mais je crois qu’il est aisé d’y répondre. Qu’est-ce qui constitue la propriété littéraire ? C’est, avons-nous dit, le texte du manuscrit et du livre, et le droit exclusif d’user de ce texte qu’on a créé. Ce texte est assurément quelque chose de matériel, c’est une chose, on n’en peut contester l’existence. On objecte seulement qu’il peut arriver que nous n’en ayons pas la détention matérielle. La vente de l’édition ne détruit pas le texte, mais il est clair que s’il ne nous reste pas un seul exemplaire dans les mains, ce texte nous ne le détenons plus. L’objection, ramenée à sa forme la plus générale, aboutit donc à dire qu’il n’y a pas de propriété sans détention matérielle. Mais c’est là un principe insoutenable. Ce n’est pas la détention matérielle d’une chose qui constitue la propriété, autrement le fermier serait propriétaire. Dira-t-on qu’il y a cette différence, que le fermier jouit de notre chose avec notre permission, sachant qu’elle est à nous, et par cela même nous gardant notre droit ? Je réponds qu’il en est ainsi de tout acquéreur de livres, qu’il n’y en a pas un qui se croie propriétaire du texte qu’il a acheté, pas un qui n’ignore que ce livre a un auteur, et j’ajouterai qu’on peut dire sans paradoxe que chaque lecteur conserve en quelque façon le domaine de l’auteur.

Est-ce là une vaine subtilité ? Non, c’est la vérité même, il ne faut pas de longues réflexions pour s’en assurer. En

  1. Bluntschli, Deutsches Privatrecht, § 40.