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te, éviter tout effort, toute fatigue, profiter du grand air, du soleil. Mais lorsqu’elle s’étendait dans sa chaise longue en avant de la maison, Mme Frigon avait toujours devant les yeux la vision de sa sœur Estelle, qui avait vécu trois mois avec elle et qui était partie si vite. Certes, être malade, se voir mourir, c’est triste, mais de se savoir trahie par son mari, c’est atroce, et Mme Frigon éprouvait maintenant un dégoût sans nom pour son beau-frère.

L’été s’acheva lentement. Tous les soirs, suivant son habitude, M. Frigon après son souper endossait ses vieux vêtements, allumait sa pipe, prenait sa tondeuse, et lentement, sans hâte, rasait le gazon de sa pelouse. Souvent même, il faisait sombre et les voisins entendaient le bruit monotone de sa mécanique.

Au commencement de l’automne, il avait toujours quelques réparations à faire à sa vieille maison en bois. Une année les cadres des fenêtres étaient pourris et il fallait les remplacer. Il exécutait tous les travaux lui-même et sans aide. Invariablement, il se mettait à l’œuvre le dimanche matin et fournissait une bonne journée de travail. Cette besogne manuelle chassait l’ennui. Son canot rouge gisait toujours à l’envers le long de la clôture.

À vivre modestement dans son ermitage, sans jamais faire une extravagance, M. Frigon était maintenant, pour le reste de ses jours, à l’abri de toute éventualité. La guerre, la dépression pouvaient venir, elles ne lui inspiraient aucune appréhension. Évidemment, il n’était pas millionnaire, mais il avait acquis une aisance très confortable. À sa place, un autre aurait dételé, aurait abandonné sa besogne et se serait installé pour la vie dans un grand hôtel où il aurait eu tout le confort voulu, tout le service nécessaire ; ou encore, il serait allé passer les hivers en Floride et les