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fin de roman

M. Frigon, une charité qu’il faisait à un pauvre diable. Mais jamais les deux hommes ne se parlaient si ce n’est lorsque le peintre payait son loyer au propriétaire.

C’était là son caractère. C’était un silencieux. En quinze ans, il avait, à trois reprises, échangé quelques phrases avec son voisin de droite ; jamais il n’avait adressé la parole à celui de gauche. À faire sa petite vie casanière, solitaire et tranquille, M. Frigon ne dépensait pas par année le quart de son salaire. Ainsi, il réalisait de fortes économies, faisait des placements avantageux, sans risques, et possédait maintenant un montant imposant, se sentait indépendant. Néanmoins, il continuait de demeurer dans son ermitage, de se rendre chaque jour à son bureau, de tondre pendant la belle saison le gazon de sa pelouse, de réparer la vieille maison en bois dont il n’avait aucun besoin et de scier son bois à l’automne. C’était là son existence.

Il vivait la vie quotidienne, terre à terre, sans caprices, sans rêve, sans désirs, une vie uniforme, terne, monotone, de laquelle toute fantaisie, tout imprévu étaient exclus. En arrivant chez lui le soir à six heures, il enlevait ses vêtements de ville, revêtait une vieille culotte et une chemise négligée, soupait en face de sa compagne tuberculeuse et, le repas fini, allumait sa pipe, prenait sa tondeuse et rasait l’herbe en fumant. Lorsqu’il faisait sombre, il entrait. Assis chacun sur sa chaise, les deux époux se faisaient face en silence, comme deux portraits accrochés au mur. L’horloge égrenait son interminable et monotone tic tac. Dans cette maison, elle donnait l’impression d’être le seul être vivant. Lorsqu’il se couchait, M. Frigon s’endormait en se mettant la tête sur l’oreiller, pour ainsi dire, mais sa femme restait très longtemps sans pouvoir plonger au repos. Elle songeait à sa maladie, à la tuberculose, dont elle était atteinte, à