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fin de roman

des voix coléreuses et, levant la tête, virent non loin de la leur une chaloupe portant deux hommes et trois femmes. L’une de celles-ci était debout dans le chaland, le faisait pencher dangereusement. Les autres lui criaient de s’asseoir mais elle refusait, disant qu’elle voulait descendre, retourner à terre. De toute évidence, ces gens-là étaient pris de boisson. MM. Petipas et Péladeau observaient la scène avec curiosité, se demandant s’ils n’allaient pas être témoins d’un drame. Sourde à tous les ordres, indifférente aux objurgations, la femme menaçait de faire chavirer la chaloupe. Alors, les rameurs se dirigèrent vers un petit quai tout près, justement celui-là où MM. Petipas et Péladeau attachaient la leur. La femme descendit en répandant une litanie d’immondices à l’adresse de ses compagnons et ceux-ci s’éloignèrent en lui criant de basses injures. Les deux pêcheurs atterrirent à leur tour. Comme ils allaient gravir l’escalier conduisant à la route, l’inconnue — une épave, c’est le cas de le dire — qui paraissait perdue dans ces parages, leur demanda où elle se trouvait et où elle pouvait prendre le train.

Au premier coup d’œil, on voyait clairement que c’était une roulure. Quarante ans environ, une figure fatiguée, pauvrement mise et puant l’alcool.

À cette vue, l’instinct animal, l’instinct du mal, surgit dans les deux hommes. Un goût de basse crapule envahit soudain ces deux êtres qui avaient passé un dimanche si calme. Cette femelle qui était là, ils n’avaient qu’à la prendre comme une pomme qui tombe de l’arbre au bord de la route et que le passant ramasse et met dans sa poche.(Parfois, la pomme est pourrie à l’intérieur).

— Amenons-la chez vous pour la nuit, suggéra M. Péladeau.