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cette réponse, déjà faite à Newton et à Galilée : « Les principes sont trouvés. » Je ne sais si je me trompe, mais je crois que le goût de ces spéculations élevées ne s’est point perdu. Ce qui manque peut-être au savant, ce sont les connaissances générales dont on se sert comme d’un point d’appui pour s’élever au-dessus d’une science spéciale, la dominer, et toucher aux principes.

Si l’on écoutait le spécialiste, la physique risquerait fort de devenir un simple catalogue de phénomènes, et la chimie un recueil de formules pharmaceutiques. Dans le grand journal de la science, il ne remplit que la colonne des faits divers. Il oublie que les faits sont les matériaux de la science, non la science même ; que celle-ci commence avec la découverte des lois, et que le simple collectionneur de faits ressemble beaucoup au cuisinier qui, au lieu d’un bon plat, nous en servirait les ingrédients. Cette impuissance à coordonner les faits, à les réduire en système, ne viendrait-elle pas de ce que les connaissances générales font chez lui défaut ? L’estomac à jeun, quand on le remplit, digère mal ; un esprit tout à fait