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culières, dont chacune a son objet propre et sa méthode spéciale, qui toutes paraissent se suffire à elles-mêmes et poursuivent isolément leur marche, jusqu’au jour, où réunissant dans une vaste synthèse l’immense multitude des faits peu à peu recueillis et des idées longtemps accumulées, quelque génie privilégié rapprochera peut-être ces fragments, et reproduira, dans l’ordre de ses conceptions, l’ordre même qui a présidé à la construction de l’univers. Qu’il y ait des sciences spéciales et qu’il faille choisir, c’est une dure nécessité. Nous devons nous résigner à connaître peu, si nous ne voulons pas tout ignorer.

Mais on ne saurait s’y résigner trop tard. Chacun de nous devrait débuter, comme a fait l’humanité, par la noble et naïve ambition de tout connaître. On ne devrait descendre à une science spéciale qu’après avoir considéré d’en haut, dans leurs contours généraux, toutes les autres. C’est que la vérité est une : les sciences particulières en examinent les fragments, mais vous ne connaîtrez la nature de chacun d’eux que si vous vous rendez compte de la place qu’il occupe dans l’ensemble. On ne comprend