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tres. Elle ne peut rien par elle-même ; séparez-la de son entourage, elle ne tarde pas à s’évanouir, semblable à ces substances chimiques qui s’évaporent dès qu’on les isole. Sans doute il en est toujours une qui domine et qu’on remarque ; mais elle ne se tient si haut que parce que les autres la portent. Je la comparerai à ce bon musicien que l’on rencontre parfois dans un orchestre médiocre : il le domine, et fait qu’on n’entend que lui seul. Peut-être échouera-t-il dans un solo, parce qu’il a besoin d’être soutenu par l’ensemble.

C’est précisément, jeunes élèves, ce qui distingue l’intelligence de l’instinct, et l’homme de la bête. Toute l’infériorité de l’animal est là : c’est un spécialiste. Il fait très bien ce qu’il fait, mais ne saurait faire autre chose. L’abeille a résolu, pour construire son alvéole, un problème de trigonométrie difficile : en résoudra-t-elle d’autres ? Celui qui admet, comme l’ose soutenir un naturaliste contemporain, que nous descendons, l’animal et nous, d’un ancêtre commun, ne pourra-t-il pas dire que notre intelligence est devenue ce qu’elle est par les habitudes variées qu’elle a contractées suc-