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LES FOUS DANS LA LITTÉRATURE.

des leurs. Ils tiennent pour privés de raison un homme prodigue et une femme amoureuse, comme s’il n’y avait pas autant de raison dans la prodigalité et dans l’amour que dans l’avarice et dans l’égoïsme.

Ils estiment qu’un homme est fou quand il entend ce que les autres n’entendent pas et voit ce que les autres ne voient pas ; pourtant Socrate consultait son démon et Jeanne d’Arc entendait des voix. Et d’ailleurs ne sommes-nous pas tous des visionnaires et des hallucinés ? Savons-nous quoi que ce soit du monde extérieur et percevons-nous autre chose dans toute notre vie que les vibrations lumineuses ou sonores de nos nerfs sensitifs ? Il est vrai que nos hallucinations sont constantes et habituelles, d’un ordre général et coutumier. Les perceptions des fous sont rares, exceptionnelles et distinguées. C’est à cela surtout qu’on les reconnaît.

C’est un fou aussi que nous fait connaître, dans le Horla, M. Guy de Maupassant, le prince des conteurs. Le pauvre homme est hanté par un vampire qui trouble son sommeil et lui boit son lait sur sa table de nuit. Il en est furieux et désespéré. Ce n’est pas sans raison ; car rien n’est plus affreux que de se sentir aux prises avec un ennemi invisible.

Mais dirai-je toute ma pensée ? Pour un fou, cet homme manque un peu de subtilité. À sa place, je laisserais le vampire se gorger de lait tout à loisir et je me dirais : « Voilà qui va bien, à force d’absorber le liquide alcalin, cet animal ne manquera pas de