Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 5 —

jusqu’à la tombe, la vie des anciens n’avait qu’une belle réalité, ce dévoûment héroïque à la patrie ; leur naissance n’avait aucune poésie, elle n’était point rattachée à l’infini du passé ; leur existence était remplie de passions étroites et haineuses ; l’égalité, ils ne la connaissaient pas, elle était un privilége ; la liberté, ils ne la connaissaient pas : elle était un privilége ; ils ne voyaient autour d’eux que l’esclave et que l’étranger qui souvent devenait aussi un esclave ; ses lois étaient toutes des lois de privilége : une immense partie des habitants en étaient exclus. Partout la consécration de l’injustice et de la déraison, des mœurs cruelles, égoïstes ; et toujours les limites de la vie présente reconnues pour les dernières. Pas une espérance ne souriait sur la tombe.

Le monde romain fut un peu meilleur ; cela devait être. Il mit à profit l’expérience du monde grec, mais il fut matérialiste comme lui ; et n’était cette grande nouveauté de droit qui fut la vraie littérature des Latins, il faudrait franchir d’un bond la République et une bonne partie de l’Empire, pour nous enfermer dans les Catacombes, où brillent des vertus nouvelles, des dévoûments inconnus, pour suivre le soldat du Christianisme dans les camps et sur la place, et surtout dans l’arène où il meurt par amour de la liberté sainte, réalisant dans l’héroïsme du martyre les doctrines qui l’ont accueilli à sa naissance et qui l’encouragent aux limites de l’éternité.

Transportez-vous en effet dans ces siècles durs et souillés, où la corruption romaine se traînait honteusement dans le crime et dans le doute, jusqu’aux bords de l’abîme où elle devait s’engloutir, et suivez des yeux ce jeune chrétien qui s’échappe furtivement encore des souterrains où la foi nouvelle est prêchée. Sur le sein de sa mère, il n’a appris que de bonnes paroles de paix et d’amour : Tous les hommes sont frères, tous les hommes sont égaux, tous ont été créés par le même Dieu et à son image ; tous ont un père commun et une même loi de pureté morale, de dévoûment réciproque, de concorde et de cha-