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homme supérieur. Frère Ambroise n’était pas superstitieux ; il savait que l’avenir est toujours un mystère, et cependant il rêvait une vie glorieuse pour son protégé. Ces pensées le conduisirent jusqu’au seuil du cloître, où il les abandonna, pour s’occuper de ses œuvres spirituelles.

Les années se succédèrent ; l’enfant grandit entouré de soins et faisant le bonheur de ses parents. D’un caractère doux et facile, quand Ludovic emporté par la colère le menaçait d’une punition, il le regardait avec une expression si tendre que le tailleur se hâtait de lui pardonner.

Une seule chose inquiétait les époux. Leur fils possédait toutes les qualités d’un enfant accompli. Seulement, jamais il ne partageait les jeux si naturels à son âge. Toujours seul ou bien assis aux genoux de Ninetta, son plus grand bonheur était d’unir sa voix à celle de sa mère, en chantant les airs calabrais, et dominé par une faculté naturelle, il créait toujours une mélodie qui s’accordait avec celle de Ninetta. Ce penchant à la mélancolie venait aussi de l’éducation toute mystique qu’il recevait. Toujours au couvent avec les religieux, il assistait à toutes les cérémonies ascétiques de l’ordre, et souvent, lorsque la chapelle était déserte, Giovanni se dérobant aux pieuses distractions des religieux, s’abandonnait aux charmes de la méditation.

Frère Ambroise voyait avec joie se développer l’intelligence sensible et éclairée de son élève ; il fortifait ses penchants à la vertu et aux nobles dévoûments qu’elle inspire, en lui rapportant les actes généreux qu’elle fait exécuter aux grands hommes.

Ninetta et surtout Ludovic n’étaient pas assez intelligents pour comprendre la supériorité de Giovanni : aussi le tailleur disait-il à son épouse : — Giovanni ne vivra pas, il est trop triste. C’est aujourd’hui Pâques-fleuries ; tous les enfants se réjouissent rien qu’à songer à cette fête ; le nôtre n’y fait pas d’attention. Qui dirait, en le voyant le soir accoudé sur la fenêtre,