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Pergolèse rassemblait enfin ses idées ; il entrevoyait sa position, et sans qu’aucune larme ne vint humecter sa paupière. Il pressa Ninetta contre son sein, et lui dit lentement :

— Je suis un lâche qui depuis sept années a vécu par tes soins. Sans te tenir compte de tes sacrifices, j’ai rempli tes jours d’amertume ; tu as souffert et mes humeurs acerbes et méchantes, et mes emportements, que ta trop grande indulgence n’a pas assez repris. Follement orgueilleux pour une chimère, j’ai vu tes pleurs sans qu’une parole de bonté vînt te consoler. La justice est là qui me punit. J’ai considéré dans un instant l’étendue de mes fautes, et l’épouvante a glacé mon âme, car je t’ai vue toi, le seul être qui m’a soutenu ; pâle, affaiblie par les privations, donnant ton sang à l’ingrat qui, dans ses rêves insensés, n’écoutait que les songes imposteurs qui l’éloignaient de sa mère ; je t’ai vue t’écriant Giovanni, je sens le monstre déchirer ma poitrine, et moi, sans répondre à tes cris, je n’ai pu que mourir avec toi. Mais non, tu vivras ; je ne t’imposerais pas la honte d’aller recevoir les insultes de la foule. Demain, Ninetta, nous serons riches, j’en atteste le Dieu vivant.

L’artiste sortit.

Le prince de Tarente, époux de Cécilia, était un jeune homme aux passions italiennes ; il avait adoré sa femme pendant six mois, et tout-à-coup son amour s’était ralenti. Il faut être juste, la fille de Manfredonnia n’avait rien fait pour ramener son volage époux : aucune sympathie n’existait entre eux. Cécilia ne comprenait pas l’amour comme Tarente. Une éducation toute exceptionnelle, les avis de frère Ambroise qui l’avait si bien dirigée, et sa nature l’invitaient aux chastes rêveries, aux célestes désirs de l’âme pour l’âme. Elle avait voué un culte particulier à sa tante, la princesse Maria, et ce n’était point sans charmes qu’elle se rappelait cette fête au vieux chateau, et dans son admiration, elle fit orner une chambre, où