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— C’est toi, fit la Calabraise, Logroscino ne t’a donc point retenu.

— Il viendra me prendre après dîner.

— Ah ! tu me rappelles. Je n’avais pas songé.

Et Ninetta, comme par le passé, se mit en devoir de réparer son oubli. L’artiste, en attendant, se plaça à un clavecin qu’il devait à l’obligeance de Logroscino.

Tout à coup une femme tomba dans ses bras. Des sanglots entrecoupés l’étouffent ; l’artiste est épouvanté ; c’est sa mère qui, l’enlaçant avec force, parvient à laisser échapper ce mot terrible :

Giovanni ! il faudra mourir ; car nous n’avons plus rien, et aujourd’hui même Marco nous chasse de cet appartement.

L’artiste sentit tout son corps se roidir, ses regards devinrent fixes, un tremblement progressif fit s’entrechoquer ses dents ; il entendait, sans les comprendre, les paroles de sa mère.

— Hélas ! mon fils, il y a bien longtemps que je me voyais menacée par la misère ; hélas ! j’ai passé bien des jours à pleurer sur notre avenir ; mais espérais. Tu me disais sans cesse : bientôt la fortune nous sourira, nous serons heureux. Je te croyais ; mais aujourd’hui j’ai imploré la pitié de Marco. Je lui ai offert de travailler pour que tu vives ; car, Giovanni, c’est la vie qui nous échappe. Il m’a repoussée, il m’a chassée ! Dans peu il va venir prendre ce qui nous reste. Et toi, mon fils, tu seras sur la rue, Si nous voulons vivre, il nous faudra, détournant le visage, implorer les secours que l’on donne aux mendiants. Al ! n’importe ! J’irai, je pleurerai ; on aura pitié de mes larmes, et tu ne connaîtras pas les tortures de la faim. Va, je suis une folle de t’avoir attristé ; si j’étais seule, je m’endormirais pour toujours. Mais tu es là, mon Giovanni ; toi si faible, toi qui as déjà tant souffert !