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mois se passèrent ainsi ; dans peu j’allais me consacrer au Seigneur. Je voyais ce terme approcher sans joie ni crainte ; l’indifférence était ma seule religion ; j’étais au cloître, je devais y rester. La solennité de la Fête-Dieu étant arrivée, comme d’habitude nous nous y rendîmes ; le hasard voulut que ma capuche se relevât un instant et que la foule immense qui encombrait les rues s’offrit à moi. Ce spectacle inattendu, cette résurrection soudaine me fit tressaillir. Ébloui, stupéfait, je regardais avec ardeur tout ce monde pour qui j’étais mort. Les femmes surtout me magnétisaient ; elles m’apparurent avec toutes leurs beautés, leurs grâces réunies dans une seule qui suivait la procession.

— Es-tu la mère de Dieu, disais-je intérieurement à la jeune fille qui marchait en chantant les saintes litanies ? Telle dut paraître Marie à Gabriel, l’ange envoyé vers elle pour lui apprendre la venue du Très-Haut ; et moi je n’étais qu’un pauvre moine, ma parole aurait épouvanté cette douce colombe ; et quand même j’aurais pu lui murmurer l’angélique salutation, j’étais toujours un pauvre moine, qui bientôt allait dire adieu au monde.

Une lutte terrible s’engagea entre moi et mes passions ; mon intelligence se réveilla, et lorsque je m’aperçus tel que j’étais, une colère extravagante me surprit ; je pris en aversion l’état religieux et le lendemain je me rendis chez le supérieur.

— Je me croyais appelé vers Dieu, mon père, je m’étais trompé, le monde m’attire, je veux y rentrer.

— Séduction de Satan, mon fils, vous qui édifiez tous nos frères.

— Mon père, c’était une erreur, je serais un sacrilège si je continuais à vivre parmi vous ; la vie m’appelle, ordonnez que l’on m’ouvre les portes du cloître.

— Je ne puis sans un ordre de l’évêque. Le moine avait la parole sèche en prononçant ces paroles et me tourna le dos.