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dre tout ce qui vous arrive, joie et peine, comme nécessité absolue de l’existence, sans y attacher aucun prix.

— Ce sont des caractères exceptionnels, que les êtres qui vivent ainsi, signor ; c’est l’égoïsme poussé aux limites les plus avilissantes.

— Qui sait si ce ne sera point l’état de l’avenir ? Je connais les hommes, leurs antécédents me font soupconner leur conduite prochaine. Le Christ paraîtrait de nouveau qu’ils ensanglanteraient encore la sainte montagne, et cependant moi, leur victime, je les plains. Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent ce qu’ils font, devrait être la devise de tous les crucifiés.

La surprise de Giovanni allait en augmentant ; il se croyait le jouet de quelque vision. Éden qu’il avait vu en songe, puis une perpective infernale, et enfin ce qu’il éprouvait à cette heure, le faisait douter de la lucidité de ses idées, rien que de très-naturel cependant.

Une lampe éclairait l’asile de Juliano ; çà et là, quelques tableaux, un chevalet et des livres en désordre, au-dessus desquels se trouvaient des vêtements de luxe ; tel était l’ameublement de la grotte. Mais Juliano, ce brigand étrange dont la parole était douce comme celle d’une femme et dont les pensées contrastaient avec sa vie, qu’était-il ?… Juliano comprit son hôte,

— Les circonstances qui vous ont fait me connaître sont de nature à exciter votre curiosité, et malgré mon désir d’être inconnu, je vous dois quelques explications sur ma présence en ces lieux.

— Vous voyez devant vous un homme qui portait naguère un nom glorieux ; vous voyez un descendant de l’immortel Florentin. De bonne heure, je sentis mes inclinations se diriger vers la poésie ; c’est-à-dire vers l’étude de Dieu dans ses œuvres immortelles, le cœur humain et la nature ; je délaissais tous les soins qui séduisent l’existence dorée du jeune âge ; dans le principe et sans m’en apercevoir, je copiais mon maître