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remplaçaient l’orgie affreuse que Giovanni avait vu s’accomplir ; cédant à la pitié, l’artiste ne vit plus qu’une femme qui allait mourir et courut à son secours.

— Est-ce toi, Juliano ?

— Non, mais un homme qui vient à votre aide.

— Que la Madone vous bénisse ; soulevez-moi la tête ; si je pouvais marcher…

— Inutile, votre sang coule, il faudrait l’arrêter.

— La soif me dévore, de l’eau au nom du Christ ! Giovanni courut à la rivière et souleva la malade,

— Merci, je ne mourrai pas sans être vengée. Mon époux va sans doute venir.

Un troisième personnage arriva sur la scène ; c’était Juliano.

Penché sur Léonora, Giovanni étanchait la plaie de la mourante ; une force invisible le renversa, un être fantastique lui mettait le genou sur la poitrine.

— C’est donc toi qui as tué cette femme, misérable ! L’artiste ferma les yeux et crut sentir le froid de l’acier,

— Arrête, Juliano ! sans lui, je ne serais plus. Le lâche Antonio m’a frappée. Il voulait que je partageasse ses plaisirs. Portez-moi vite à la grotte.

— Relevez-vous, signor ; la surprise, la colère m’ont aveuglé. Giovanni crut que c’était un ange qui lui parlait, tant l’accent était doux.

Quelques minutes après ils étaient dans l’habitation de Juliano ; Léonora reposait sur uu lit. La curiosité, l’intérêt avaient remplacé les fortes émotions de l’artiste.

— La vie est bien étrange, dit Juliano, après avoir appris de Giovanni comment il arrivait qu’il se fût trouvé exposé à de si grands périls. Pour quelques-uns c’est une continuité d’heures semblables. Jamais aucun trouble, jamais aucune passion ne les soulève, jamais ils n’ont senti les affreuses joies de la vengence ; et ce sont cependant les heureux, car qu’est-ce que le bonheur ? C’est ignorer qu’il est un but ; c’est pren-