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comme le disait Gresset, en véritable égoïste, attendu qu’il en avait beaucoup. Or, ne me serait-il pas facile d’abuser impunément d’une confiance sans arrière-pensée, à moi qui suis fort spirituel par étude ? — Cependant, que mes lecteurs se rassurent et me pardonnent de les revêtir du pluriel ambitieux de M. T. Gautier. Si j’étais spirituel aujourd’hui, je craindrais que le charme de ma simplicité naturelle ne disparût complétement sous le prestige de l’art ; — aussi, vais-je raconter mon premier amour en prose dans toute sa naïveté.

Il y avait donc une fois un beau pays tout rempli de fleurs, de lumière et d’azur. Ce n’était pas le Paradis terrestre, mais peu s’en fallait, car les anges le visitaient parfois. L’Océan l’environnait de ses mille houles murmurantes, et de hautes montagnes y mélaient la neige éternelle de leurs cimes aux rayons toujours brûlants du ciel. Or, je vivais, si je ne croyais vivre, dans un des doux recoins de ce pays. Je n’admirais rien, avec le pressentiment sans doute que l’admiration m’eût rendu fou ; mais, en revanche, j’aimais instinctivement : tout ce qui m’apparaissait, le ciel, la terre, la mer et les hommes ; — si ce n’étaient les femmes, qui échappaient à ma sympathie et plus encore à mon intelligence ; car, quoique je fusse fort jeune, et que la jeunesse soit comme un miroir où se réfléchissent les choses célestes, j’ignorais, je l’avoue, qu’il existât des anges. Mes yeux crurent s’en apercevoir avant mon cœur, et mon premier amour en prose en advint comme il suit.

Je me rendais un dimanche matin à l’église, en suivant le bord d’une large chaussée plantée de tamarins et de bois-noirs à touffes blanches. Des groupes de dames et de jeunes filles passaient à mes côtés, avec celles de leurs caméristes