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— Sire, je ne pourrais vous dire, mais il y a long-temps que mes oreilles n’avaient été charmées par de semblables accords.

— Je veux qu’il me soit présenté. Stigliano, faites en sorte que demain, à mon lever, le musicien qui joue à cette heure reçoive la récompense due à son mérite.

L’écuyer s’inclina, mais ses traits étaient contractés ; toujours le même, toujours froid et impassible, il luttait avec ses propres sentiments, car ce qui se passait alors était une fête pour tous : hors, pour lui ; pour lui c’était un drame inconnu, plus terrible que ceux qui s’offrent avec les préparatifs sanglants de l’échafaud.

— Il le fallait, murmura-t-il sourdement : l’inflexible loi qui régit les sociétés voulait ce sacrifice. Et ce pauvre enfant ! Le prince devint pensif. L’archevêque prononça la bénédiction nuptiale. Un instant après, les vibrants et éclatants tuyaux sonnèrent avec discordance ; un désordre affreux régna dans l’air ; des éclats de rire incohérents se firent entendre ; les flûtes s’unirent au clairon terrible ; et bientôt les effrayantes notes de l’hymne des morts vinrent succéder aux moqueuses et ironiques voix du fifre. Cela anéantit et frappa de stupeur toute l’assemblée. Le terrible orgue vomissait toujours ses désordonnantes tempêtes. Mais bientôt tout se tut. Le délire cessa, le seul son lugubre et traînant des pédales s’éteignit en décroissant comme les dernières paroles de la foudre…

Le drame était achevé ; Giovanni avait vu Cécilia promettre amour éternel au comte de Tarente.

Il erra toute la nuit ; il s’arrêta pendant bien des heures sous les balcons où dansaient les joyeux convives. Il écouta les applaudissements qui éclataient dans la salle ; et lorsque l’aube arriva, elle le surprit sur les dalles du palais.