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approcher à grands pas, et pourtant, Dieu le sait, je ne m’en effraie point pour ce qui me regarde. La vie a presque toujours été pour moi une coupe si pleine d’amertume, que je dois regarder comme un bonheur de la voir s’éloigner de mes lèvres ; mais ce qui m’épouvante, mon enfant, ce qui empoisonne la douceur que j’aurais à mourir, c’est l’idée de te laisser seule, sur cette terre, loin de la France, sans parents, sans amis… Hélas ! mon Dieu, que vas-tu devenir, pauvre orpheline abandonnée ? Et en parlant ainsi, elle m’entourait de ses bras amaigris et m’embrassait avec fureur. — Moi, je ne répondais rien ; je pleurais.

— À propos, reprit ma mère, après un silence de quelques instants, qu’as-tu donc depuis quelque temps ?… Tu m’as semblé rêveuse plus d’une fois ; plus d’une fois aussi, tu t’es cachée pour soupirer plus à ton aise ; autant tu étais folâtre jadis, autant tu es sérieuse aujourd’hui ; en un mot, ton état n’est pas naturel… Voyons, qu’as-tu, dis ?

Je baissai les yeux et ne répondis rien.

— Eh bien ! tu gardes le silence ? Qu’est-ce que cela veut dire ?…

— Ma mère !…

— Allons, voyons, parlons franchement ici, ma fille, et ne me cache rien… Est-ce que, par hasard, tu… tu aimerais quelqu’un ?

Je tressaillis comme si la flamme m’eût touchée.

— Ah !… voilà donc le grand secret ! Et pourquoi ne m’avoir pas dit tout cela de vous-même, mademoiselle ?

— Je n’osais pas, ma mère.

— On ne rougit que de ce qui est mal, ma fille.

— Je n’ai pourtant rien à me reprocher, je vous le jure !…

— Je l’espère bien ainsi. — Mais, voyons, maintenant ; quel est l’objet de ce subit attachement ?