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— Allons, te voilà encore avecites tristes pressentiments.

— Ninetta, j’ai vécu, et je sais qu’il y a une limite à toute chose : pourquoi serions-nous exempts de cette loi commune ? D’abord, l’exemple de Piétro m’effraie. Qu’avait-il fait pour mériter tous les maux qui l’ont surpris au milieu d’une vie heureuse et pleine de vertus ? Sauver les jours à son plus grand ennemi, au perfide Antonio, qui le récompensa en incendiant sa maison. Un seul bien lui restait, sa fille, la céleste Virginia, comme l’appelaient tous ceux qui l’ont connue : la fièvre l’enleva au pauvre Piétro. Ninetta, Ninetta, nous avons toujours été heureux !

— Ludovic, si toutes ces infortunes ont accablé Piétro, ne devons-nous pas y reconnaître un terrible exemple de la vengeance divine, qui ne laisse jamais les crimes impunis ? Piétro était encore enfant, lorsque sa mère fut victime de la féroce jalousie de son époux, et celui-ci, en échappant aux lois humaines, laissa un fatal héritage à son fils.

— Ninetta, mon aïeul maudit ma mère, parce qu’elle avait épousé secrètement le fils de son plus grand ennemi : le vieillard, à son lit de mort, ne voulut point abjurer sa haine.

Le tailleur laissa échapper un profond soupir, et porta la main à son front. La bonne Ninetta, tout émue, dissipa avec un baiser les souvenirs qui venaient tourmenter son époux.

— Tiens, lui dit-elle, place-toi dans ton fauteuil : nous allons célébrer l’anniversaire de notre enfant ; nous allons causer de son avenir. Je suis persuadée qu’il sera bien joyeux quand tu lui diras : « Giovanni, au travail : il faut que vous succédiez à maître Ludovic Pergolési, »

Le tailleur fit un geste de doute.

— Sommes-nous seuls les maîtres de l’enfant, et crois-tu que frère Ambroise partage tes idées ?

— Voudrait-il en faire un moine ?