Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 166 —

sans espoir, riant dans sa barbe de notre petit monde d’ici-bas, s’amusant peut-être comme Socrate, non pas à boire la ciguë, mais à consacrer un coq à Esculape, et pouvant, comme Auguste, dire en quittant la scène : Hé, mes amis, n’ai-je pas bien joué mon rôle ? Applaudissez maintenant, car vous le savez :


Tous nos plaisirs n’ont qu’un moment,
Hélas ! quel est le cours et le but de la vie ?
        Des fadaises et le néant,
Ô Jupiter ! tu fis en nous créant
        Une froide plaisanterie.[1]


On avait applaudi à l’athéisme de Diderot, on rit de la profession de foi de Voltaire, qui parut charmante, mais qu’un seul, ce même bourru de Génevois, qu’avaient choqué tout-à-l’heure les maximes de Diderot, eut la naïveté de trouver mauvaise. Diderot a raison, c’est un demi-sauvage que notre écolier Génevois, dit tout bas d’Alembert à d’Holbach : on dirait un jésuite mystifié, ou un janséniste qui vient de lire la Bulle, Hé ! l’ami, reprit Voltaire, en lui adressant la parole, quelle mouche vous pique et qu’avez-vous ?

À ces mots, le Génevois parut rêver. Tous les yeux se fixèrent sur lui et notre fou s’écria : Ce que j’ai, messieurs, vous me le demandez encore, de ce ton indifférent et moqueur avec lequel nos hommes du monde apostrophent le mendiant couché au coin du chemin : Manant, qu’as-tu ? Ce que j’ai ! Je suis indigné. Pauvre, simple, ignorant, vertueux par caractère, avide de connaître, plus désireux encore de calmer mon esprit, de posséder la douce paix du cœur, j’ai voulu vous entendre, messieurs les philosophes. On vous faisait si grands, si sages, si simples surtout, Est-ce donc à cette philosophie, que

  1. Volt. Les agréments de la vieillesse.