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La plupart, en effet, écoutaient avec avidité et semblaient dévorer chaque mot qui s’échappait de sa bouche. Voltaire seul riait, le Génevois paraissait triste, il redevenait bourru, et son œil s’arrêtait avec inquiétude sur un portrait de Fénélon, singulièrement placé par d’Holbach entre celui de Bayle et du minéralogiste Wallerius.

Diderot, comme étonné lui-même de la hardiesse de ses idées, s’était arrêté, et les battements de mains retentissaient dans la salle. Admirable, criait d’Holbach, mon philosophe est un homme de génie, mais il n’y a que le Champagne pour le faire parler. Pour Arouet, c’est un fou qui n’a pas son pareil, mais à parler franchement, sa philosophie est trop riante, trop spirituelle, ce me semble, et depuis qu’il nous amuse (ce qui est beaucoup sans doute), il ne nous a rien appris. Rien appris, reprit en riant Voltaire, déjà échauffé par le vin ? Eh baron ! il s’agit bien d’apprendre ; apprendre est long et rebutant, persuader que l’on sait est plus court. Ma philosophie est courte, en effet, et pourtant j’en rémplirai des volumes. Elle est triste et pourra bien faire rire toute l’Europe. Triste, dites-vous ? — Oui, Messieurs, triste, car elle détruit tout et n’édifie rien… Édifier, entre nous, est trop long pour elle ; les fondateurs d’Empires meurent souvent sans gloire. Pauvres gens, bien heureux encore de s’appeler Romulus ou Clovis ; qu’ils font triste figure auprès d’un Alexandre ou d’un Mahomet ! — Tout vient lentement ici-bas, et peut finir vite ; me comprenez-vous ? Ajoutez que la vie de l’homme est courte, qu’il faut pourtant une petite tâche, un rêve, un but, un passe-temps, c’est la manie humaine.

Celui-ci veut défricher un coin de terre, celui-là fonder un empire, cet autre jeter ses idées à la foule. Quel est le plus sage ? Je ne sais, mais heureux qui finit sa tâche avant le soir, car la mort vient vite. Tout s’en va, tout marche ici-bas ; vers quel but ? Je l’ignore, mais je vais aussi moi conduisant ma barque et riant sur la route des folies qui passent. Chaque siè-