Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 163 —

l’essence des trois gouvernements, les avantages, les inconvénients, l’esprit de chacun, les modifications qu’ils éprouvent et doivent éprouver sous l’influence des lieux et des climats : il parlait peu, disait beaucoup, semblait avare de bons mots et n’était guère applaudi, si ce n’est par d’Holbach qui, frappant sur l’épaule de Voltaire, lui disait à demi-voix : Bonhomme, avouez donc qu’il y a là autre chose que de l’esprit sur les lois.

Bientôt les soirées philosophiques devinrent à la mode ; chacun voulut en être, car qui ne veut paraître philosophe au moins une fois en sa vie ? La table dut s’élargir, sans que la causerie perdît rien de son aimable liberté. Un soir surtout le banquet parut plus animé que jamais. Ce soir-là, j’imagine, les perdix étaient cuites à point et Lafleur n’avait point baptisé le Champagne. Quoi qu’il en soit, Voltaire, et c’est beaucoup dire, n’avait jamais eu autant d’esprit. Anecdotes piquantes et scandaleuses, mensongères peut-être, mais malignes à coup-sûr ; petites réflexions toutes claires, toutes simples, j’allais dire bien naïves, quand elles étaient bien méchantes ; rapprochements curieux et originaux, s’ils manquaient parfois de justesse, et tout cela entremêlé de vers, de citations, d’impromptus, accompagné de gestes, de regards, fascinait et éblouissait les convives. Notre homme est en délire, criait d’Holbach, et je souhaite qu’il y reste long-temps. Tous applaudissaient, même un jeune homme nouvellement admis au petit banquet, et que Diderot avait présenté à ses amis comme un sauvage à civiliser. Ce bourru de Génevois, comme ils l’appelaient, applaudissait de la meilleure foi du monde aux saillies de Voltaire, qui alors, je crois, était presque tenté de ne le trouver bourru qu’à demi ; et le Champagne riait dans les verres, les visages s’épanouissaient d’aise. Diderot avait pris la parole ; il dépassait Voltaire et prêchait l’athéisme aux convives, au milieu même des présents du ciel, des fleurs et des fruits » avec cette fougue, cette exaltation, cette verbeuse éloquence, dont ses écouteurs n’étaient jamais lassés.